Conférence annuelle de l’AMF, à Paris, le 15 novembre 2012
11H00- 12H30 ; Séparation des activités bancaires
Gouverneur Erkki Liikanen :
Le Groupe d’experts sur la réforme structurelle du secteur bancaire de l’UE, que j’ai présidé, a remis son rapport au Commissaire Michel Barnier il y a un mois. Ce Groupe d’experts avait pour mission de s’interroger sur la nécessité de mettre en place des réformes structurelles du secteur bancaire de l’UE, dans le but d’établir un système à la fois sûr, stable et efficace.
Après avoir pris en considération les autres réformes en cours du système bancaire et compte tenu des leçons tirées de la dernière crise, nous sommes parvenus à une réponse positive : ces réformes structurelles sont effectivement nécessaires. Le rapport que nous avons remis comporte une série de recommandations et nos principales propositions portent sur la façon dont les banques devront être structurées à l’avenir.
Nous proposons de scinder les banques en entités juridiques distinctes. Si une banque désire s’engager dans des activités de trading significatives, sous la forme d’activités de trading pour son compte propre ou d’activités de tenue de marché, ces activités devront être séparées de ses activités de banque dépôt, en les regroupant au sein d’une filiale distincte dédiée à ces activités de trading, dite entité de trading. Cette dernière devrait être financée et capitalisée séparément de la banque de dépôt.
Nos propositions ont reçu d’une manière générale de réactions constructives. Bien sûr, nous avons dû faire face à de nombreuses questions et à quelques critiques également.
La séparation que nous préconisons a une finalité évidente : Il s’agit, en l’isolant, de protéger la banque de dépôt, dont le financement bénéficie explicitement ou peut-être implicitement d’un système de garantie gouvernementale, des conséquences d’une prise de risque significative effectuée en son nom.
Cette séparation agit directement comme un bouclier protégeant à la fois la banque de dépôt et le contribuable. Elle devrait également améliorer les systèmes d'incitation associées aux activités de trading, quelle qu’en soit la nature.
Lorsque le financement des positions prises doit être effectué dans des conditions qui sont davantage celles imposées par le marché,( avec les conséquences liées au retrait des filets de sécurités gouvernementaux), la propension à prendre de gros risques devrait s’en trouver réduite et cela devrait aussi prévenir une croissance anormale et excessive des activités de trading.
Certaines critiques (émises souvent par les banques elles-mêmes) ont dit que les clients souffrent de cette séparation. Selon ces critiques, la capacité des banques à offrir à leur clientèle d’entreprises un « guichet unique » pour l’ensemble de leurs besoins serait compromise du fait de cette séparation, laquelle aurait pour effet d’augmenter les coûts et la gêne occasionnés pour ces mêmes clients.
Ce n’est pas la position de notre groupe. Nous avons reconnu toute la valeur des banques à vocation universelle en tant que fournisseurs d’une gamme complète de services bancaires. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas insisté pour une séparation radicale des activités de banque de dépôt et des activités de trading allant jusqu’à les placer sous le contrôle d’actionnaires différents.
Au lieu de cela nous avons proposé qu’il soit permis qu’elles soient regroupées au sein d’une holding. Un groupe bancaire pourrait ainsi continuer à commercialiser l’ensemble de ses services à partir des différentes entités le constituant.
Nous souhaitions également qu’il soit permis aux banques de dépôt d’effectuer, à la demande de leurs clients, des opérations de trading et de la prise ferme de valeurs mobilières et d’emprunts émis par des entreprises. Toutefois, notre groupe d’experts a fait remarquer que les positions détenues dans le cadre de ces opérations effectuées à la demande des clients devraient faire l’objet de limites encadrant étroitement les risques encourus. Ces risques devraient aussi faire l’objet d’une couverture adéquate.
Donc, tout bien considéré, nous avons le sentiment que notre proposition a tenu compte des avantages associés au guichet unique en matière de services bancaires.
Une autre critique qui a été faite à l’encontre de notre proposition est que la séparation juridique des activités de trading et des activités de banque de dépôt en les affectant à des entités capitalisées de façon distincte, serait coûteuse en termes de fonds propres dans la mesure où le même capital de base ne pourrait être réparti entre ces différentes entités. En cas d’échec d’une augmentation de capital, la séparation de ces activités réduirait la taille d’au moins l’une des filiales.
En réaction à cet argument, nous devons faire remarquer que le partage du capital entre les activités de trading et les activités de banque de dépôt signifierait également le partage des risques associés, ce qui est précisément ce que notre groupe d’experts souhaite éviter, compte tenu des effets incitatifs qui en découlent en termes de prise de risques.
En réalité, les besoins plus élevés en termes de fonds propres ne sont pas une conséquence indésirable de la séparation de ces activités. D’autres réformes réglementaires qui ont eu pour finalité explicite d’augmenter les exigences pesant sur les banques en termes de fonds propres. Il faudrait aussi faire remarquer qu’il ne faut pas surestimer l’impact en termes de coûts résultant de la nécessité de disposer de fonds propres plus importants. Du fait d’un niveau d’endettement moins important, les risques supportés par les actionnaires seront moindres et ils auront donc des exigences modérées en termes de rendement.
Les raisons pour lesquelles nous proposons de séparer les activités de tenue de marché des activités de banque de dépôt sont liées au fait qu’il est très difficile de les distinguer des activités de trading pour compte propre. Aussi en période d’agitation des marchés, les activités de tenue de marché peuvent donner lieu à des prises de positions risquées non désirables qui ne devraient pas être autorisées afin de ne pas mettre en péril la solvabilité de la banque de dépôt.
La difficulté qu’il y a à séparer les activités de tenue de marché des activités de trading pour compte propre a été décrite comme étant la plus grande d’un point de vue pratique dans le cadre de la règle Volcker.
Dans la mesure où la proposition que nous avons faite impliquerait de séparer les activités de tenue de marché des activités de banque de dépôt, la critique qui nous a été faite est que la liquidité des marchés obligataires pâtirait de nouvelles restrictions imposées aux activités de tenue de marché. Il est avancé que ces restrictions signifieraient une augmentation des écarts de taux, une plus grande volatilité du marché et une formation inefficace des prix.
Comment pouvons-nous réagir face à une telle critique ? Celle-ci repose sur l’idée selon laquelle le dysfonctionnement des marchés obligataires est tel que les activités de tenue de marché devraient être soutenues via leur financement au moyen de dépôts garantis.
Pourquoi les activités de trading seraient-elles des activités dont la spécificité justifierait qu’elles reçoivent un soutien spécifique ? Le soutien implicite de ces activités peut même avoir de fâcheuses conséquences.
Un niveau de liquidités artificiellement haut peut encourager des prises de risques excessives dès lors que les investisseurs sont assurés de pouvoir se débarrasser de leurs titres très rapidement en cas d’apparition d’un climat incertain. Comme l’a dit Paul Volcker, davantage de trading ne rime pas toujours avec davantage d’efficacité.
Les critiques qui nous ont été adressées ne disaient pas toutes que nos propositions étaient trop sévères. Au contraire, certaines ont avancé qu’elles ne l’étaient pas assez. Lorsque j’ai été interrogé sur la question par le comité parlementaire, au Royaume-Uni, certains de ses membres ont déclaré qu’ils auraient préféré une séparation complète.
Nous voulions éviter de demander une séparation complète comme cela avait été fait aux États-Unis dans le cadre du Glass-Steagall Act. Une telle demande aurait été trop éloignée de la tradition bancaire européenne et aurait brisé le modèle de la banque universelle.
Le démantèlement de l’ensemble des activités de trading et de tenue de marché au sein des groupes bancaires existant dans toute l’Europe aurait eu un effet très perturbateur en obligeant à la vente des entités concernées ou à la liquidation de leurs portefeuilles.
La prise en compte des avantages liés au fait que les groupes bancaires puissent proposer une gamme étendue de services nous a amenés à proposer une séparation juridique qui ne remette pas en cause la structure de ces groupes.
Dans le cas où un plan de sauvetage et de résolution des défaillances crédible la demanderait nous proposons que les autorités de surveillance auront le droit d’exiger une séparation plus large des activités à risques par rapport aux activités de banque de dépôt.
Par conséquent, le plan sauvetage et de résolution des défaillances constitue l’instrument ultime servant comme critère de décision quant à l’étendue de la séparation.
Notre proposition de séparation juridique doit être considérée dans un contexte où d’autres réformes sont en cours ou ont été proposées pour soutenir le processus de réforme structurelle. Je voudrais en citer trois en particulier. La première est liée à la révision par le Comité de Bâle des règles régissant le portefeuille de trading et qui pourrait améliorer celles relatives aux exigences de fonds propres afférentes aux activités de trading. La deuxième est liée au réexamen de la façon dont sont déterminées les exigences de fonds propres afférentes aux prêts immobiliers. Enfin la troisième concerne la conception de mécanismes de renflouement interne (bail-in) et d’instruments dédiés au renflouement interne qui réduiraient les incitations à la prise de risques et augmenteraient la capacité d’absorption des chocs.
Comme le montre la liste des différentes mesures précitées, notre groupe n’a pas considéré que sa proposition de séparation structurelle des activités bancaires constituait une sorte de « remède miracle » en matière de stabilité et de sécurité. Cette proposition est une composante nécessaire au sein d’un ensemble équilibré de réformes bancaires. Le but ultime de ces réformes dans leur globalité est le même que celui défini dans le cadre du mandat qui nous a été confié, à savoir « la mise en place d’un système bancaire performant, répondant aux besoins des citoyens, de l’économie de l’Union Européenne et du marché interne ». * *